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Drogue et jeu en ligne : même combat ?

  • Photo du rédacteur: Substance
    Substance
  • 19 nov. 2020
  • 4 min de lecture

Dernière mise à jour : 24 nov. 2020






Aujourd’hui, le thème des addictions est devenu central dans les recherches scientifiques, et les addictions à certains comportement suscitent un vif intérêt – c’est le cas pour les jeux vidéo en ligne. Vous allez me demander « Mais quel est le rapport entre un geek accro à World of Warcraft et un cocaïnomane ? ». Bien que l’ « accro » à World of Warcraft ne consomme pas de drogue, il peut présenter un comportement de dépendance face aux jeux vidéo qui peut devenir très problématique. C’est pourquoi, une équipe de scientifiques chinois menée Yip S.W. du Brain Research Institute à Pékin a publié, en 2018, une étude dans la revue Neuropsychopharmacology pour étudier le problème de la régulation des émotions négatives dans le cas de la dépendance aux jeux vidéo en ligne.


Explication !


Nous disposons tous d’une capacité à réguler nos émotions : cela nous permet de modifier la durée et l’intensité de nos émotions en fonction du contexte dans lequel nous nous trouvons. Or, les recherches scientifiques montrent que les consommateurs de drogue (cocaïne, cannabis, etc.) ont des difficultés à réguler leurs émotions négatives face à un événement stressant, et que c'est lié à certains mécanismes dans le cerveau. En prenant appui sur ce constat, cette équipe de scientifique a voulu vérifier si les personnes dépendantes aux jeux vidéo en ligne présentaient les mêmes mécanismes. Voyons ensemble comment ils ont réalisé leur étude.


Armés des techniques d’Imagerie par Résonance Magnétique fonctionnelle (IRMf), permettant de rendre « visible » le fonctionnement du cerveau en situation, ces scientifiques ont analysé le cerveau de 24 jeunes dépendants aux jeux vidéo en ligne et de 23 jeunes non-dépendants, tous âgés de 18 à 26 ans. Les participants devaient visionner des images neutres (ex : un parapluie) puis pouvant susciter des émotions négatives (ex : un chien dangereux ouvrant la gueule) pendant que leur activité cérébrale était enregistrée en temps réel. De cette manière, les scientifiques ont pu observer la réaction de leur cerveau confronté à une émotion négative. L’objectif de l’étude était ensuite de comparer les résultats entre ces deux groupes.


Minute papillon ! Comment ça se passe dans le cerveau en règle générale ? Prenons un exemple concret. Imaginez que vous êtes dans la rue et qu’un chien vous attaque. Face à cet événement, différentes zones de votre cerveau vont s’activer de façon à ce que vous puissiez réagir et éviter de vous faire mordre sans comprendre ce qui se passe ! Utile, n’est-ce pas ? Les régions du cerveau reconnues dans ce circuit pour « faire-face » sont : l’amygdale, l’insula et le striatum qui permettent une réponse efficace, rapide et automatisée face à une situation potentiellement dangereuse. Ensemble, ces zones créent un ressenti négatif, comme dans le cas de l’attaque d’un chien. Ensuite, la région du cortex pré-frontal reçoit l’émotion négative et va essayer de la diminuer pour ne pas rester paralysé par la peur pendant des heures : retrouver son sang-froid au plus vite.



Mais revenons à nos moutons ! Quels sont les résultats de l’étude ? Lorsque les jeunes non- dépendants visionnent des images négatives, il y a une augmentation de l’activité dans les différentes zones du cerveau présentées dans l’exemple, comparativement au visionnage d’images neutres. Jusque-là, tout est normal ! Mais là où les choses deviennent intéressantes, c’est que dans le groupe de jeunes dépendants aux jeux vidéo en ligne, il n’y a pas d’augmentation de l’activité cérébrale dans ces régions, et l’on retrouve même une diminution de l’activité dans l’insula et le striatum. Ils présentent donc une sous-activation dans ces zones du cerveau face à des images négatives.

Ces résultats suggèrent, d’après les auteurs, que les jeunes dépendants aux jeux vidéo en ligne ont des difficultés à réguler leurs émotions négatives, tout comme les consommateurs de drogues.



Les jeunes dépendants aux jeux vidéos présentent une diminution de certaines zones du cerveau en présence d'images négatives



Maintenant, faisons marcher notre esprit critique ! L’étude parle de jeunes « addicts » aux jeux vidéo en ligne, sans toutefois en préciser les types de jeux vidéo qu’utilisent les participants. Jeux de conduite automobile ? MMORPG ? Jeux de guerre ? Tournois de foot multi-joueurs ? Pourtant, cette différence est cruciale, car nous pouvons imaginer que le cerveau d’un jeune qui passe ses journées et ses nuits devant des jeux vidéo violents et gores ne soit pas vraiment réactif en visionnant les images négatives présentées par les scientifiques en laboratoire ! Il est donc probable que les images négatives utilisées dans l’étude ne fassent pas le poids face à une utilisation importante de jeux vidéo en 3D ultra réalistes où l’on est poursuivi par des chiens zombies à trois têtes ! Ce qui expliquerait la sous-activation cérébrale détectée chez nos joueurs invétérés, plutôt que de réelles difficultés à réguler les émotions négatives...


Il faut alors rester prudent et attendre que d’autres recherches soient réalisées pour confirmer ou réfuter les conclusions des auteurs. Pendant ce temps, on pourrait se faire une petite partie non ?! D'autant que pour rappel, les jeux vidéos ne sont pas que mauvais : une étude publiée en 2017 montre qu’une pratique régulière peut être un bon moyen d’améliorer nos habilités cognitives (la mémoire, la prise de décision, l’attention e.g), motrices et émotionnelles. On pourrait les utiliser dans le traitement de l’impulsivité, de l’autisme, ou de la dépression. Alors, ne les diabolisons pas !








Référence : Sarah W Yip, James J Gross, Megha Chawla, Shan-Shan Ma, Xing-Hui Shi, Lu Liu, Yuan-Wei Yao, Lei Zhu, Patrick D Worhunsky, Jintao Zhang Is Neural Processing of Negative Stimuli Altered in Addiction Independent of Drug Effects? Findings From Drug-Naïve Youth with Internet Gaming Disorder Neuropsychopharmacology 2018 May;43(6):1364-1372.





 
 
 

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A propos 
 

Substance(s), c'est des posts écrits par les neuropsychologues et psychologues-cliniciens en formation à l'Université Paris 8, pour vous présenter des recherches scientifiques majeures récentes sur les substances psycho-actives et les addictions. Tous les posts sont relus par un chercheur spécialisé en psychiatrie et neuroscience avant d'être publiés.

Bonne lecture !
Remerciements
 

Merci aux étudiants de Master 2 engagés depuis 2017 dans ce projet  !

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Laboratoire de Psychopathologie et Neuropsychologie  lpn-p8.com

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